Article paru dans le deuxième numéro du journal Partisan:
Au moment de mettre sous presse, la campagne électorale fédérale vivait ses derniers jours. Malgré l’embellie rapportée par les médias bourgeois pour le Nouveau parti démocratique (NPD), il est à peu près acquis que le Parti conservateur formera le prochain gouvernement. De toute manière, peu importe le résultat final, on sait déjà qu’il n’en sortira rien de bon pour les travailleuses et les travailleurs. La seule inconnue, s’il en est, c’est de savoir si la chute spectaculaire du taux de participation à laquelle on assiste depuis une vingtaine d’années se poursuivra ou si la campagne de propagande menée par les partis et les médias bourgeois aura réussi à l’endiguer.
Comme à l’habitude, à part quelques promesses dont on sait ce qu’elles valent (rien!), la campagne électorale a surtout pris la forme d’un concours de popularité où un peu comme dans une émission de télé-réalité, les électeurs et électrices sont appelés à choisir celui ou celle qui leur semble le plus sympathique. Il y a longtemps que la forme a remplacé le fond dans ce système qu’on nous vante pourtant comme le plus «démocratique» qui soit.
L’élément le plus nouveau de cette élection, et certainement celui qui représente le plus d’espoir pour les travailleurs et les travailleuses, c’est la campagne de boycott que les supporters de ce journal ont appuyée. Organisée à l’initiative du Parti communiste révolutionnaire, cette campagne a rassemblé des militantes et militants du Québec, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick. Pour la première fois, le mot d’ordre de boycott des élections a retenti à l’échelle pancanadienne.
Contrairement à ce qu’ont prétendu ceux et celles qui l’ont dénigrée, cette campagne fut tout sauf une manifestation d’apathie par rapport à la manière dont les choses sont organisées dans la société canadienne. En s’abstenant massivement de participer au scrutin, les millions de travailleurs et travailleuses, de jeunes et de membres des Premières nations expriment, chacun à leur façon, leur rejet d’un système qui n’en a que pour les riches et dont ils et elles sont exclues. La campagne de boycott que nous avons menée visait notamment à transformer ce boycott passif en un boycott actif, en favorisant l’expression de notre volonté de vivre dans une société où le pouvoir sera exercé par la majorité laborieuse.
Cette campagne a suscité des réactions opposées et parfois vives dans certains milieux. Sur la rue, dans les lieux de travail et les écoles où elle s’est déroulée, elle n’a laissé personne indifférent. Des centaines, voire des milliers de commentaires ont circulé sur Internet, allant d’un soutien enthousiaste jusqu’à une condamnation pure et simple: certains ont même ouvertement souhaité nous faire taire, au nom du respect des «valeurs démocratiques» (sic), ce qui en dit long sur ce qu’elles sont réellement.
À Toronto, le Comité prolétarien d’action révolutionnaire (Proletarian Revolutionary Action Committee - PRAC) a fait connaître la campagne de boycott en distribuant des tracts et en posant des affiches dans plusieurs quartiers populaires. Le comité a également organisé trois événements publics, dont deux à l’Université de Toronto les 19 mars et 27 avril et l’autre à la librairie Accents le 30 avril, et ses porte-parole ont donné quelques entrevues dans les médias. Cela a permis aux militantes et militants de base d’en savoir plus sur la campagne, d’émettre leurs critiques et suggestions et de discuter de leur implication dans la campagne elle-même et dans la lutte à plus long terme pour l’organisation d’une démocratie directe.
Les gens qui vivent et travaillent dans les quartiers prolétariens où nous avons fait campagne ont exprimé à maintes reprises leur insatisfaction à l’égard du système en place. Les discussions ont été vives et nombreuses quant à la nécessité d’une démocratie populaire réelle et d’un autre type de gouvernement, qui ne mettrait plus l’accent sur les profits d’une poignée au détriment du bien-être de la majorité.
Il en est ressorti que loin d’être apathique, la classe ouvrière est mécontente d’un système qui représente les intérêts des riches et n’offre rien de mieux que quelques miettes. Plusieurs personnes ont exprimé leur colère par rapport au discours pour «la loi et l’ordre», repris désormais par la totalité des partis. On nous aussi a parlé avec véhémence de la brutalité policière vécue quotidiennement dans certaines communautés et du fait qu’il est virtuellement impossible de se tenir dans un endroit public sans être harcelé par la police.
Bien des gens ont exprimé leur dégoût quant au fait qu’aucun des principaux partis ne soit prêt à réaffecter les sommes prévues pour les dépenses militaires à des projets susceptibles d’aider la communauté. Les réductions d’impôt supplémentaires consenties aux capitalistes suscitent clairement la colère, d’autant que rien n’est prévu par les divers partis pour offrir des jobs aux travailleurs et travailleuses actuellement sous-employés et marginalisés; de fait, c’est comme si tous ces bonzes n’avaient aucune considération pour le désarroi qui anime les masses, qui rêvent d’un avenir meilleur pour leurs enfants. Plusieurs personnes ont encouragé les militantes et militants du PRAC à continuer le combat, sachant qu’il n’y a pas d’avenir dans ce système failli et corrompu.
À Ottawa, nos camarades ont là aussi fait activement campagne en faveur du boycott. Après avoir organisé un lancement le 6 avril, les militantes et militants se sont littéralement répandus dans les rues et endroits publics. Les quartiers prolétariens et les terminaux où transitent les travailleurs et travailleuses ont été ciblés afin rejoindre le plus grand nombre de gens durant la courte période de temps qu’a duré la campagne.
La réponse des travailleurs, des travailleuses et des membres de la communauté a été positive; plusieurs nous ont affirmé n’avoir jamais voté et n’avoir surtout pas l’intention de commencer à le faire! Ces gens-là comprenaient très bien le message véhiculé par la campagne.
Interrogé sur la réceptivité des personnes rencontrées, un militant nous a rapporté que «la plupart des gens étaient très favorables» au boycott. «Bien sûr, il y en a qui s’y opposaient, mais cela changeait radicalement dès qu’on quittait les campus et les quartiers plus aisés; la classe ouvrière comprend vraiment qu’il n’y a pas d’avenir, pour elle, dans le système bourgeois. La réceptivité des masses vis-à-vis la campagne m’incite à penser que nous avons adopté une ligne correcte. Nous souhaitons utiliser la campagne comme tremplin pour construire une plus grande présence dans les secteurs ouvriers d’Ottawa et des environs.»
À noter qu’il est arrivé fréquemment que spontanément, lorsqu’on les abordait, les gens nous répondaient ne vouloir rien savoir des élections. Puis, lorsqu’on leur précisait qu’il s’agissait de les boycotter, ils se retournaient et tendaient la main en disant: «OK alors, je vais en prendre un!» Une réaction significative, s’il en est.
Au Québec, où l’identification au gouvernement fédéral est moins forte que dans les autres provinces, la campagne de boycott a généralement été bien reçue. Dans la vieille capitale, les militantes et militants qui ont diffusé le premier numéro de Partisan ont rapidement écoulé les quelque 500 exemplaires qui leur avaient été confiés. Ils et elles nous ont rapporté que la réception fut particulièrement bonne parmi la jeunesse prolétarienne. Il faut croire que les appels à la mobilisation faits par l’humoriste Rick Mercer n’ont pas vraiment eu d’impact dans ce coin de pays…
À Montréal, en plus de la diffusion de Partisan, du journal Le Drapeau rouge et de la déclaration initiale de la campagne, des milliers d’affiches ont été posées dans les quartiers populaires, sur lesquelles apparaissaient ses principaux slogans: «Le pouvoir est dans la rue! Pas de démocratie sans pouvoir populaire!» Plusieurs événements ont été organisés à la Maison Norman Bethune, ainsi qu’un grand rassemblement de fin de campagne dans le quartier Centre-Sud.
La campagne de boycott des élections a également été intégrée à la mobilisation en vue de la manifestation du 1er Mai, organisée par la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC-Montréal). Cette manifestation, qui en est cette année à sa quatrième édition, vise précisément à permettre aux prolétaires et aux opprimées d’exprimer leur rejet du système dominant, dont le cirque électoral est parti prenant.
De manière générale, nous avons constaté un accueil bien différent dans les milieux prolétariens, à comparer aux secteurs de la gauche traditionnelle (syndicats, groupes communautaires, partis…), que l’on croit à tort «plus politisés». Ceux-ci ont encore énormément d’illusions sur l’État et le système bourgeois, ce qui n’est pas nécessairement le cas des travailleurs et travailleuses les plus pauvres, qui savent très bien qu’ils doivent se battre simplement pour survivre.
Comme le disait la Coalition ontarienne anti-pauvreté il y a quelques années: «On ne peut nier l’importante signification politique du fait qu’un nombre croissant de personnes ne voient tout simplement plus de raison d’aller voter. Contrairement à ce que prétendent certains snobs, le large groupe d’abstentionnistes n’est pas constitué de moutons stupides et apathiques. On parle ici de pauvres et de travailleurs et travailleuses qui font quotidiennement de lourds sacrifices et travaillent très fort pour combler les besoins de leurs familles. Ces gens, en réalité, sont capables d’agir de façon extrêmement vigoureuse lorsque quelque chose se produit qui leur apparaît significatif et important. Le processus électoral, toutefois, les laisse complètement froids. Ils et elles ne voient pas de raison d’appuyer tel ou telle candidate, parce qu’en ce qui les concerne, aucun d’eux ne mettra fin aux injustices qui les assaillent. Derrière le sentiment d’indignation un peu passif qui recouvre ce rejet des élections se cache en fait un profond sentiment de colère et de mécontentement. Et lorsque ce sentiment prendra le dessus, il ne prendra certes pas la forme d’une campagne de lettres adressées aux députés...»